Sur l’île de La Gomera, aux Canaries, les « néo-hippies » affluent de toute l’Europe, unis par le rêve d’une vie libérée des contraintes de la modernité, dans la simplicité volontaire et en harmonie avec la nature. Nombreux sont ceux qui ont abandonné leur vie d’avant pour se consacrer à cet idéal (Arte TV).
Ce reportage Arte peut-être visionné ici (jusqu’à sa date limite d’accès) : https://tinyurl.com/y8hm3srq
Est-il possible de se passer « du système » en choisissant un mode de vie alternatif ? C’est semble-t-il le cas pour cette population néo-hippie qui vit actuellement sur l’île de La Gomera. Seulement, à les entendre parler, nous constatons que leurs propos reposent quelque fois sur des principes irrationnels comme c’est le cas d’un de ces jeunes hommes néo-hippie qui proclame si fièrement que « la terre n’appartient à personne » lorsqu’on lui expose le mécontentement des indigènes face à son attitude « d’envahisseur ». C’est bien entendu une belle utopie dans un monde capitaliste comme le nôtre de tenir ce genre de propos mais c’est surtout un idéalisme qui malheureusement repose sur de l’ignorance. Certes, dans l’absolue, la terre n’appartient à personne mais il s’agit plus d’un rapport de dépendance que d’appartenance. Nous dépendons d’elle comme elle dépend de nous parce nous sommes liés l’un à l’autre (l’Homme fait partie de la nature) mais à proprement dit personne n’appartient à personne. Le problème se situe plutôt au niveau de la surface de la terre et principalement du fait qu’elle est limitée. La terre est un espace commun où toutes les espèces doivent cohabiter ensemble – c’est le principe même de l’écologie. Mais avec huit milliards d’êtres humains ajoutés à toutes les autres espèces vivantes, comment pourrions-nous vivre ensemble dans une certaine harmonie si toute la surface de la planète serait à la libre possession de tous ou gérée de façon totalement anarchique ? N’y aurait-il pas des conflits, des guerres (car l’être humain est encore de nos jours majoritairement un être cupide qui ne cesse de désirer toujours plus de moyens pour parvenir à ses fins) ? Tout d’abord, le manque d’espace face à une population qui ne cesse d’augmenter nous contraint à partitionner la terre et à délimiter les espaces « naturelles » des espaces urbains et agricoles. C’est le cas des parcs nationaux, qui par leurs existences, permettent la sauvegarde d’espèces qui seraient vouées à disparaître. Aussi, il est indispensable d’avoir suffisamment de terres agricoles pour assurer les ressources nécessaires à la vie des êtres humains. Même si la terre appartenait à tout le monde, nous ne pourrions échapper au fait que les espaces doivent être gérés d’une manière ou d’une autre toujours dans le but d’une meilleure cohabitation entre tous. D’autre part, nous aimerions conseiller à ce jeune homme néo-hippie de lire comme introduction « Le Leviathan » de Thomas Hobbes (XVIe – XVIIe siècles) afin qu’il saisisse qu’elles étaient les conséquences de l’Homme à « l’état de nature » lorsque la propriété privée n’existait pas et où tous étaient en guerre contre tous car tous pouvaient posséder ce qu’ils désiraient et tous pouvaient s’accaparer avec force et violence les terres d’autrui qu’ils s’étaient eux-mêmes auto-appropriées. Il faut rappeler que même si cette situation était la réalité de ce que vivait Hobbes en son temps (guerres civiles dans l’Angleterre du XVIIe siècles), sa théorie a toujours du sens dans nos sociétés actuelles. En effet, sans lois civiles, c’est-à-dire sans obligations, sans conventions, sans un souverain ou un Etat qui définit des règles, tout est permis, la justice comme l’injustice, et l’insécurité règne tout le temps. La possession de sol est l’origine de la guerre et c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui. Mais globalement, nous pensons que si un Etat n’est pas un gouvernement despotique et totalitaire dans le sens où il s’approprierait de force les terres, la possession de sol n’est plus une problématique majeure (ici nous n’entrerons pas dans le débat du capitaliste à qui appartient la majorité des terres). Au contraire, elle évite des conflits. Lorsque les propriétés sont délimitées de manière claire et distincte, chacun sait à quoi s’en tenir (il en va de même pour la répartition des zones naturelles, rurales ou urbaines).
Bref, d’une part, nous aimerions suggérer à ce jeune homme néo-hippie qu’il approfondisse les concepts qui le motive afin qu’il puisse dépasser les présupposés qui le conduise à ce discours plutôt classique. Dépasser le sens commun est un exercice salvateur ! D’autre part, nous voudrions souligner que ce jeune homme semble très peu concerné par le fait que la zone ou lui et son équipe ont élus domicile est une réserve naturelle réservée à d’autres espèces que la sienne ! Ce genre de comportement le ramène directement à une forme d’anthropocentrisme, forme qu’il doit probablement réfuter chez ceux qu’ils jugent de se comporter ainsi. Nous remarquons ici que juger autrui ne fait que révéler qui nous sommes réellement. Observer une telle contradiction en soi s’avère être un enseignement particulièrement salutaire.
L’autre partie intéressante de ce reportage se situe dans la façon dont une catégorie de la population cherche à vivre autrement. C’est tout à fait remarquable que des individus tentent de nouvelles expériences en choisissant de nouveaux modes de vie en fonction de leurs convictions ou de leurs croyances. Cependant, il est tout à fait légitime de s’interroger sur certaines croyances mystiques qui sont mises en avant dans ce reportage et notamment par celles de cette jeune femme allemande qui ne cesse de parler « d’énergie ». Mais de quoi parle-t-elle au juste ? Car un mode de vie qui repose sur ce type de croyance ne permet pas à notre avis de garantir un avenir certain qui soit en phase avec la réalité de la société. « Les énergies » ne règlent pas tout ! Penser que les « bonnes énergies positives » qui nous animent vont se propager autour de nous a du sens mais nous doutons que cela fasse effet « boule de neige » jusqu’à transformer une société entière. À ce stade, nous pourrions nous demander si cette jeune femme ne pense pas qu’à son bien-être personnel ? Si ses convictions reposent sur le fait de vouloir transformer la société alors il ne semble pas que ses croyances sur les bienfaits des « énergies » puissent résoudre cette problématique. L’énergie semble ici en opposition avec le concret. La société ne changera que si des individus s’investissent concrètement dans des actions politiques ou militantes au travers d’associations de tout genre (et de préférence non-violentes) mais également en s’engageant avec détermination dans un cheminement de connaissance de soi. Faire du yoga sur une plage est une pratique certes bénéfique pour soi (du moment qu’on ne le pratique pas uniquement pour ce donner un genre) mais les « bonnes énergies » que nous pourrions en retirer ne vont pas régler les droits d’égalités des minorités ou le problème du réchauffement climatique ! Ayant côtoyé longuement les milieux new-age, nous constatons malheureusement qu’ils sont investis la plupart du temps par des individus relativement perdus et pas si heureux qu’ils en ont l’air ! Notre intuition nous indique qu’ils ne comprennent pas vraiment ce qu’est le concept de bonheur et qu’ils ont la fâcheuse tendance à le confondre avec une attitude de préférence hédoniste. En effet, ils prêchent un idéal qui ne repose pas sur une éthique solide et vertueuse mais sur un mode de vie qui privilégie les plaisirs et l’insouciance (probablement par manque de maturité et par manque de connaissance de soi.) Nous apprécions par contre leur courage de tout quitter, de tenter autre chose, surtout dans le cas où la maladie a déjà fait des ravages, notamment chez cette jeune femme allemande. Le mode de vie capitaliste où il n’y a que le travail, l’argent, les possessions et l’honneur qui comptent ne peuvent qu’avoir un impact holiste négatif sur l’être humain. Il s’agit donc de trouver des impasses pour tenter de vivre une vie qui nous correspond le mieux sans pour autant tomber dans l’excès et la bêtise. Idéalement, la modération semble préférable dans nos réflexions car elle permet de bien peser le pour et le contre lors de prise de décisions. Mais certaine fois, la réalité nous montre qu’il y a « urgence » et nous faisons alors comme nous le pouvons sur le moment sans trop nous soucier de ce qu’il pourrait en advenir. C’est semble-t-il ce qui s’est passé majoritairement chez ces néo-hippies dans leur décision de passer d’un mode de vie connu et quasi insupportable à un nouveau mode de vie idéal et inconnu. Adopter un changement tel que celui-ci de manière concrète est audacieux et c’est la raison pour laquelle nous respectons leurs choix. Cependant et malgré les possibilités d’échecs, nous pouvons nous demander si un mode de vie fondé sur une idéologie « hippie » vaut la peine d’être tenté une nouvelle fois ?
Premièrement, il semble tout à fait légitime que les individus aient le choix de vivre de nouvelles expériences à travers le mode de vie à laquelle ils adhèrent (dans la mesure du possible). Nous les encourageons tous à suivre leur idéal comme c’est le cas pour ces néo-hippies de l’île de La Gomera (du moment qu’ils respectent aussi les modes de vie d’autrui). Ils pourront ainsi observer si ce mode de vie est tenable ou intenable face à la pression sociale politique et économique à laquelle ils devront faire face. La difficulté d’une idéologie règne dans le fait qu’elle puisse virer un jour ou l’autre du côté de l’utopie tous simplement parce que le projet a échoué. Quand sera-t-il pour ces néo-hippies ? Cette idéologie «néo-hippie » n’est-elle pas déjà une utopie avant même qu’elle le devienne ? Car il semble que les fondements de leur mouvement repose sur une idéologie qui n’a guère changée à celle que proposaient les hippies des années « seventies » (et qui rappelons-le a échouée). Deuxièmement, le discours que soulèvent la plupart de ces néo-hippies dont il est question dans ce reportage nous semble manquer de profondeur notamment quant aux problèmes que cela génère avec la population locale. Cela ressemble plus à une attitude nihiliste qui serait de tout nier sans vraiment prôner quelque chose. Bref, il est difficile – à travers ce reportage – d’en tirer des conclusions précises mais nous doutons fortement que ce projet puisse fonctionner à terme. Cette forme de rébellion et de résistance qui anime cette communauté néo-hippie notamment contre les principes des villageois qui les entourent nous semble guère prometteuse de succès mais plus une source de conflits.
Quoi qu’il en soit rappelons simplement le fait que la principale vertu de l’expérience est qu’elle permet d’en retirer un enseignement personnel toujours porteur de nouvelles connaissances. Ce sera bien évidemment le cas pour tous les membres de cette communauté néo-hippie de La Gomera. Il serait alors intéressant de les rencontrer dans quelques mois ou quelques années pour prendre connaissance de leurs diverses expériences et d’en tirer déjà un premier bilan personnel.