Ethique et Philosophie de l’environnement.
Travail personnel d’après le CM de Thierry Hoquet, professeur de Philosophie à l’Université Paris Nanterre.
L’histoire de la philosophie nous montre que le concept de nature a varié dans ces interprétations au grès des périodes et des traditions philosophiques ou théologiques, que ce soit de l’Antiquité jusqu’à nos jours. A titre d’exemple, le concept de nature est assimilé à toute une série d’opposition qui sont les suivantes : une nature peut être active ou passive, harmonieuse ou imparfaite, autonome ou dépendante de l’activité humaine, naturelle ou surnaturelle, sauvage ou domestiquée. De la même manière, la définition du terme de nature a varié au fil du temps et des traditions qui lui sont affiliées. Voici deux significations distinctes (selon Ehrard) : premièrement elle serait l’ensemble de l’univers, de toutes les choses créées, c’est-à-dire une nature créée et donc passive puis deuxièmement, elle serait un « esprit universel » qui se traduit par le fait que cet « esprit » (non divin) est l’activité même de toute chose si bien qu’il s’agit ici d’une nature active qui se suffit à elle-même. Ainsi, la diversité de la nature se rattache à plusieurs interprétations que nous ne pourrons pas toutes exposées dans cette analyse.
D’autre part, penser la nature c’est également s’interroger sur sa réalité. En d’autres termes, est-ce que la nature existe ? N’est-elle pas une simple construction de notre esprit ? Ainsi, il n’y aurait pas de nature : elle ne serait que le résultat de nos propres représentations. Ce point de vue antinaturaliste s’oppose à celui du naturaliste qui lui pense que la nature existe par elle-même et qu’elle est donc autonome et indépendante de notre propre existence. À partir de là, de quel côté se positionne l’oiseau ? Est-il naturaliste ou antinaturaliste ? Fait-il une distinction entre l’être qui l’est et l’environnement dans lequel il vit ? Et quand est-il d’un représentant d’une tribu d’Amazonie vivant en totale autarcie avec la nature ? Difficile d’y répondre mais cela nous montre bien que la nature est en tous cas un concept construit par l’homme et principalement par l’homme occidental. Ainsi, la nature peut-être interprétée de diverses manières : elle pourrait être créée par Dieu et donc soumise à des lois naturelles tout comme elle pourrait être autonome mais imparfaite et à corriger par l’homme.
Bref, la nature, c’est-à-dire cette diversité d’êtres, rassemblés dans un seul espace commun que nous devons partager entre nous tous et dont nous sommes nous-même – les êtres humains – affiliés et dépendants d’elle, a belle et bien existé avant que l’esprit rationnel humain ait pu en faire un premier concept. Cependant, quelles sont les raisons de vouloir faire de la nature un concept ?
Notre plan sera le suivant : nous allons tout d’abord explorer diverses pistes pour tenter de comprendre la raison pour laquelle l’homme a voulu conceptualiser la nature. Car il semblerait que la nature sauvage n’était pas désirable par l’homme parce qu’elle lui faisait tous simplement peur. Cette crainte d’une nature hostile et dangereuse serait donc la raison pour laquelle l’homme en a fait un concept dont les définitions ont pu varier en fonction de ses croyances. A partir de là, nous explorerons deux voies bien distinctes et donc deux interprétations de la nature, qui sont tout d’abord celle des providentialistes qui ont défendus l’idée d’une nature harmonieuse et passive, créée par Dieu, et qui ne fait de l’homme qu’un usager de la nature, puis celle de ceux qui défendent l’idée que la nature est plutôt active mais qui doit être absolument maîtrisée par l’homme.
1/ La concept de nature
Quelle est donc la raison qui pousse l’homme à vouloir absolument conceptualiser l’environnement dans lequel il vit ? Si l’on se réfère à la mythologie, nous comprenons bien que l’homme, en dépit de pouvoir donner une explication rationnelle aux phénomènes de la nature qui l’entourait, n’a pas hésité à interpréter ces phénomènes selon les croyances du moment. Ainsi, Zeus, dans sa colère envers les êtres humains, avait le pouvoir de manier la foudre pour les punir. Dans l’Empire Romain, Vulcain, sous l’île de Vulcano, provoquait une éruption chaque fois qu’il travaillait le métal. Bref, l’homme associait à toutes sortes de divinités toutes-puissantes des phénomèmes naturels pour se rassurer d’une nature qu’il persevait comme hostile et dangeureuse. Ainsi, au fil du temps, le concept de nature a pris plusieurs interprétations qu’elles soient de nature mystique, philosophique ou théologique. Dans la grèce antique, on est passé d’une interpétation mystique de la nature (période pré-socratique) à une interprétation plus rationnelle à partir d’Aristote. Ce dernier faisait d’ailleurs de la nature en être réel : la nature aurait horreur du vide. Dans les religions animistes, on associe aux éléments de la nature des esprits. Ainsi, les arbres, les oiseaux, tout comme les pierres sont pourvus d’une âme. On remarque donc que l’homme n’a pas cessé de fournir toutes sortes d’explications à tous sortes de phénomènes naturels par précaution ou par crainte de représailles de la Nature. En effet, la nature fait peur aux êtres humains. Et donner des explications est comme maîtriser la nature car maitriser une chose est toujours plus rassurant que l’inverse.
La nature est donc le fruit d’interprétations diverses et variées. Mais en dehors des mythes et des croyances, qu’en est-il de la nature en tant qu’objet ? Est-elle harmonieuse, imparfaite, autonome, sauvage, cruelle ? Pour ne prendre qu’un exemple, le concept de biodoversité nous indique une nature autonome qui s’auto-régule sans aucune intervention de Dieu ou de l’homme. La chaine alimentaire est un bon exemple car elle nous montre que toutes les espèces sont co-dépendantes les unes des autres et que l’absence soudaine et massive de l’une d’entre elle peut provoquer un déséquilibre complet de cette chaine. Fort de le constater, l’homme est le principal acteur de ce déséquillibre de la biodiversité (on constate une forte réducation de la diversité des espèces entre autre par la déforestation provoquée par l’agriculture industrielle), mais d’un autre côté, il est aussi le créateur d’espace biodiversifié (p.e semer de la prairie fleurie dans des zones urbaines). On peut retenir que la biodiversité est tout de même rattachée à l’idée d’une nature harmonieuse (cf. Maris). Mais peut-on concevoir une nature harmonieuse qui ne dépendrait pas de principes biologiques ?
2/ Une nature harmonieuse
Le providentialisme se présente comme une thèse chrétienne qui prétend que seul Dieu agit : tout est donc fait selon la volonté de Dieu. La nature est donc totalement passive puisqu’elle est exclusivement entre les mains d’un Dieu qui a tout prévu. Cette prévoyance, qui repose exclusivement sur la bonté et la sagesse de Dieu, ne peut que produire une nature parfaitement harmonieuse. Ainsi, tous phénomènes reposent sur les deux seuls évènements majeurs de la bible : la création et le déluge.
Carl Von Linné, naturaliste du 18ème siècles, est un des représentants de cette tradition. Son discours au sujet d’une nature harmonieuse est particulièrement éclairant. En effet, Linné ramène tout phénomène naturel à une harmonie « divine ». Ainsi, il n’y a pas de place à l’imperfection ou à la cruauté dans une nature providentielle. Comme exemple, Linné nous dit que Dieu est l’auteur de l’eau, qu’il existe une parfaite concordance entre les insectes et leur environnement, que chaque espèce a son propre territoire et sa propre nourriture. Quant à la prédation, il ajoute que « certains animaux sont créés que pour massacrer horriblement les autres » ! On remarque très rapidement qu’il n’existe au final aucunes espèces inutiles car toutes se complémentent merveilleusement. Ainsi, Dieu est partout et dans tout et il est alors difficile de justifier que Dieu n’existe pas, tout comme il ne peut être coupable de rien puisque tout est harmonieux. Dans un discours similaire, son homologue l’abbé Pluche prétend que les espèces domestiques sont un don de Dieu. Mieux encore, il affirme que Dieu règle la mobilité de nos yeux selon nos besoins ! On remarque ici que le providentialisme est occasionnaliste : une cause est toujours accompagnée d’une intervention divine. On comprend dès lors que l’intervention de l’homme n’est pas souhaitée ni d’ailleurs nécessaire. Vouloir intervenir serait de vouloir bousculer l’ordre établit. De même qu’il n’y a pas à chercher à connaître la nature puisque tout s’explique par l’intervention de Dieu. L’homme est donc réduit à faire uniquement usage de la nature : son intervention est donc minimale.
On retrouve dans le providentialisme une similarité avec le concept de biodiversité ou la nature ne peut être assimilée à une forme de déséquilibre. Cependant, la biodiversité est sujette à des déséquilibres que la nature peut la plupart du temps gérer alors que ce dérangement est tout simplement impossible quand tout est ramené à la sagesse de Dieu.
Certains préféreront, comme le propose les providentialistes, que l’homme se comporte plus comme un usager de la nature que comme un « jardinier de la nature » qui voudrait à tout prix maitriser cette nature. L’introduction des OGM est un exemple qui illustre bien la problématique du désir de vouloir maitriser une nature dont au final on ne maitrise pas. Comme exemple, un maïs transgénique est capable de contaminer d’autres variétés de maïs endémiques par de simples émanations de pollen. Dans ce cas, vouloir maitriser la nature, c’est perturbé une nature qui s’autorégulait par elle-même en y insérant des organismes modifiés génétiquement capables de modifier à leur tour des espèces endémiques. Ainsi, c’est par le geste de l’homme que la variation des espèces se produit. Le Dieu, créateur d’une nature harmonieuse est ici remplacé par un homme bricoleur dénué de sagesse divine dans l’entreprise de ses actions. Dans cette perspective, on peut se demander sous quelle forme la nature est destinée à évoluée ? Une nature hybride mi humaine mi naturelle, c’est-à-dire à la fois autonome et à la fois subordonnée par la main de l’homme dans la modification des espèces ? On passerait ainsi d’un occasionalisme divin à un occasionalisme humain. Dès lors, doit-on penser que la nature n’est pas si parfaite qu’elle en à l’air ? Est-ce que l’homme peut se passer de vouloir maîtriser la nature alors que la population ne cesse d’augmenter ?
3/ Une nature imparfaite et perturbée
Rattacher la nature à quelque chose d’harmonieux n’est qu’une idée préconçue par l’homme. Et si l’harmonie n’existait pas au sein de la nature ? Car il semble que dans la nature les choses se passent comme elles doivent se passer : la nature fonctionne selon un ordre naturel qui ne semble ni harmonieux, ni disharmonieux. Déterminé par des forces physiques, cet ordre semble être ainsi depuis la création de l’univers. De la même manière, peut-on dire que la nature est cruelle ? Comme exemple frappant, nous pouvons citer le cas de cette mère girafe qui tue volontairement son petit d’un coup de pied fatale pour le sauver de l’attaque d’une lionne (désert de Namibie). Comment doit-on interpréter cette scène ? Y-a-t-il une forme d’harmonie dans ce geste ? La nature n’est-elle pas cruelle ? L’homme émet des jugements sur ce qu’il observe dans la nature mais la nature n’est pas un être, elle ne pense pas, elle ne juge pas. Elle fonctionne selon un ordre qui semble plus ou moins constant.
Aldo Léopold introduit le concept de l’écologie des paysages qui insiste sur le fait que l’homme fait partie intégrante du système écologique et que la perturbation est conçu comme le régime normal. Ici, nous sortons de l’idée d’une nature harmonieuse et d’une intervention minimale de l’homme. Plus radical, Georges-Louis Leclerc Buffon naturaliste du 18ème siècles et épicurien, dresse le portrait d’une nature imparfaite et aveugle dotée d’aucune intelligence et d’aucune raison. Il s’oppose totalement au providentialisme : Dieu est totalement rejeté et la nature à sa propre activité réelle. Pour Buffon, la disproportion, la prolifération et la monstruosité sont naturelles. Il conçoit même la possibilité d’une extinction d’espèce. Ainsi, pour les sauvegarder, l’homme doit absolument intervenir car c’est lui seul qui peut assurer un maximum de diversité. Le déséquilibre de la nature ne protège pas, ni ne préserve les espèces. En ce sens, la biodiversité n’existe pas puisque la nature semble incapable de s’autogérer. Dès lors, on comprend que seul l’homme à le pouvoir et le devoir de corriger les défauts de la nature. Mais si une espèce disparaît d’elle-même (sans l’intervention de l’homme), ne s’agit-il pas d’une certaine forme d’harmonie (on en revient au providentialisme) ? La question est de savoir pourquoi l’homme devrait absolument intervenir si l’ordre naturel en a voulu ainsi ?
La nature serait donc imparfaite et l’homme se place ainsi comme le maître d’œuvre de cette nature sans pour autant se voir comme étant lui-même un élément faisant partie de cette nature. Il semble qu’il y ait une dichotomie entre l’homme et la nature alors qu’il s’agit plutôt d’un tout qui nécessite un certain équilibre pour qu’il puisse perdurer.
Conclusion
L’homme désire comprendre la nature et c’est bien le rôle des sciences naturelles. La science est d’une certaine façon une interprétation de la nature (même si certains phénomènes naturels sont prouvés). C’est une interprétation occidentale qui ne doit pas forcément être la seule interprétation de la nature (du moment que l’on ne peut pas expliquer et prouver tous les phénomènes naturels). Les animistes nous fournissent leurs propres interprétations de la nature ou tout être est considéré comme une entité spirituelle qu’il faut respecter ou dont il faut se méfier. On ne coupera pas un arbre sans lui demander la permission et sans le remercier une fois qu’il est abattu. Cette nature semble avoir des droits comme c’est le cas pour ceux qui défendent l’idée d’une éthique environnementale. Ici, la nature prend une autre forme d’interprétation.
Photo : image de la 1ère page du chapitre premier de « Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy », Tome II, Georges-Louis Leclerc Buffon (1707-1788)